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L'Attaque des Gnomes
Chapitre 4

Mercredi

J’avais dit à mes parents que j’allais passer à journée à réviser avec Naïm, et préparais mon sac pour retourner du côté de l’étang. Je fis un détour par la cuisine, et pris discrètement une bouteille de vinaigre, que les gnomes avaient en sainte horreur. Pour le Monstre de Boue, ce serait un peu plus complexe. D’après mes lectures, la solution la plus radicale pour s’en débarrasser était de l’attirer loin du point d’eau, dans une forêt dense, et d’y mettre le feu pour cuire le monstre. Autant dire que je ne pouvais pas réduire en cendre le bois de Cloche-Bourg pour éviter que le village ne soit transformé en marécage. Heureusement, j’avais aussi trouvé une « recette » qui me permettrait de venir à bout du monstre sans avoir à jouer les pyromanes.
Il me fallait cependant commencer par prélever un bon litre de boue, que je devrais laisser reposer une nuit avec quelques poignées de feuilles de belladone et d’orties, puis faire bouillir le mélange quelques minutes. Une fois le mélange refroidi, je récupérerais les feuilles pour en faire une belle boulette, que je devrais faire avaler au monstre.
Prélever de la boue, je pouvais le faire sans problème, et je savais où cueillir des orties sur le chemin. J’avais aussi trouvé comment reconnaître la belladone, et espérais en trouver dans la forêt, mais je n’avais pas encore de plan de rechange si ce n’était pas le cas. J’avais donc pris un grand bocal pour la boue, des gants de jardinage et des sacs en papier pour les plantes, ainsi qu’un dessin des feuilles de belladone. J’aurais aimé avoir aussi mon vélo pour aller plus vite, mais j’étais bien résolu à le récupérer dès que tout ça serait fini. En attendant, je me devrais me contenter de mes bonnes vielles chaussures.
Comme je l’imaginais, je trouvai des orties sans avoir à chercher longtemps, et mis le cap sur l’étang. Tandis que j’arrivais à proximité, je me fis le plus discret possible de peur de tomber sur les gnomes. Dans le doute, j’avais badigeonné mes vêtements de vinaigre, et gardai la bouteille à la main, prêt à en asperger la moindre de ces bestioles violettes voulant m’approcher de trop près. La brume demeurait épaisse, où que j’aille, et je restais à l’affût du moindre son strident, mais les gnomes ne semblaient pas être dans le coin. Je ne baissai pas ma garde pour autant, me souvenant que leurs cris pouvaient être étouffés par la boue. Toujours rien à l’horizon, lorsque j’atteignais enfin les abords de l’étang. Je posai donc la bouteille de vinaigre et sortis le bocal de mon sac. Lorsque je le plongeai dans la boue, des craquements derrière moi me firent sursauter, et par réflexe, je lâchai le bocal pour me saisir de la bouteille de vinaigre. Pourtant, j’avais eu beau me retourner dans toutes les directions et plisser les yeux pour tenter de voir plus loin, rien ne perturbait le calme de la brume, ni cris stridents ni lueur rouge. Je revins alors à mon prélèvement, et m’aperçus que le bocal avait disparu. Sans réfléchir, je plongeai alors les deux bras dans la boue, et commençai à la remuer en espérant remettre la main sur le bocal. Après quelques mouvements sans succès, je finis par sentir son bord rond. Je dus plonger les mains encore plus profondément pour avoir une bonne prise, puis au bout de quelques instants, je retrouvai enfin mon précieux récipient, rempli jusqu’à ras bord.
Alors que je fermais le couvercle, je vis le bord de l’eau s’agiter, et entendis les cris que je redoutais tant. J’avais sans doute trahi ma présence en remuant avec autant d’entrain la boue de l’étang, et les cris aigus ne tardèrent pas à être assez nombreux pour devenir ce fameux rire glaçant. Bien entendu, la bouteille de vinaigre avait disparu dans la boue aussi vite que le bocal avant elle, et alors que je me retournais pour prendre la fuite, je vis que j’étais cerné par des centaines de gnomes. Pour couronner le tout, j’avais tellement de boue sur moi que je ne sentais plus les vapeurs de vinaigre censées me protéger de ces petits monstres violets. Ils étaient maintenant si nombreux qu’ils disparaissaient dans la brume sans que je puisse savoir exactement combien ils étaient, mais j’étais certain qu’ils étaient encore plus que la veille.
Ne voyant aucune échappatoire, je mis le bocal dans mon sac à dos, et pris une grande inspiration avant de faire la seule chose qui me semblât sensée : foncer droit devant en ravalant ma peur. Après tout, ils ne faisaient pas plus de trente centimètres de haut, et face à eux, j’étais un géant ! Pourtant, leur nombre n’était pas seulement impressionnant : à peine avais-je fait quelques pas au milieu de la flaque de gnomes, que je sentis leurs griffes me lacérer les mollets. Je me mis alors à mouliner des bras pour me débarrasser de ceux qui s’accrochaient, et me précipitai vers un arbre dans lequel je pourrais me réfugier. Je commençai à grimper, et constatai rapidement que prendre de la hauteur ne suffirait pas à me sortir du pétrin.
La horde de gnomes avait commencé à envahir le tronc, et ne parvenant plus à les chasser avec mes pieds, je cassai une petite branche que j’agitai frénétiquement autour du tronc. Luttant déjà comme un diable, je remarquai que la boue avait s’agitait en surface, et que le Monstre commençait à sortir de son sommeil.
Soudain, alors que je me croyais perdu, j’entendis mon nom à travers les bois.
« Tiens bon, Bernard, j’arrive ! »
J’avais du mal à réaliser ce qui se passait, tandis que les gnomes les plus agressifs commençaient à redescendre de l’arbre. Pourtant, mes yeux ne me trompaient pas. Monsieur Janry était là, au beau milieu de la forêt, et il se frayait un chemin au milieu des gnomes avec une torche enflammée, qu’il remuait par gestes amples au ras du sol. Moi qui ne l’avais jamais croisé en dehors de la salle de classe, je me demandais ce qui avait pu l’amener ici, et finis par me rendre à l’évidence : il était venu pour la même chose que moi. Tout en progressant au milieu des gnomes, il gardait un œil sur l’étang, sans montrer qu’il fût particulièrement par le monstre qui en sortait. Il parvenait à maintenir les gnomes à distance, tout en les attirant loin de moi, si bien que rapidement, je pus descendre de mon perchoir.
« Maintenant, file de là ! » me fit monsieur Janry alors que de plus en plus de gnomes l’encerclaient. Tellement que certains commençaient à se grimper les uns sur les autres, et formaient des stalagmites, tout en griffes et en dents acérées. La tentation de fuir était grande, mais j’avais l’impression que monsieur Janry commençait à être surpassé par le nombre, et il était hors de question que je le laisse en si mauvaise posture. Soudain, un des tas de gnomes se déversa sur lui.